Voici une série d’articles écrits par Daniel Chernet sur le schéma d’identités, apport de Carlo Moïso.

Ces articles n’étant plus accessibles sur son blog, c’est avec l’accord de Daniel que je les publie ici.

Bonne lecture.

 

Chapitre 5 – Usage en thérapie

 

Un exemple donné par Carlo Moïso lors d’une de ses formations à Paris me servira à illustrer les possibilités d’utilisation thérapeutiques du modèle (il ne nous a jamais dit s’il s’agissait d’un cas clinique ou d’une illustration).

Marie (enfant naturel) a besoin, comme toute fille de son âge, que son père la regarde avec plaisir mais sans désir. Si le père (et/ou les autres hommes de l’environnement) montre de l’intérêt et du plaisir pour la fille, pour sa croissance, sa transformation, elle pourra se sentir belle et devenir séduisante. Elle n’aura pas besoin d’être séductrice, mais pourra accepter une relation venant d’un garçon de son âge, puis plus tard d’un homme, elle pourra plaire, sans peur et sans confusion entre intérêt, attrait et sexualité.

Si le père (et/ou les autres hommes de l’environnement) présente du dégoût à la petite fille (rejet parce qu’elle grandit, que sa poitrine se développe) ou du désir, le besoin ne sera pas satisfait. Le besoin archaïque restera présent (Enfant Bloqué), elle ne pourra pas plaire sans être désirée, elle sera dans la confusion dès qu’un homme s’intéressera à elle et vivra de la peur dans ces situations.

L’Enfant bloqué cherchera régulièrement à trouver une issue pour le besoin bloqué (être appréciée par une figure d’autorité, sans être en danger d’être désirée, convoitée ou abusée).  Elle risque ainsi d’être séductrice lors d’un recrutement, lors

Les croyances et les conclusions qui se construisent dans le crapaud peuvent se formuler de la manière suivante (il en existe de nombreuses autres, bien sûr) :

sur elle-même : « Je suis une moins que rien, même mon père me désire »,
sur les autres : « Les hommes sont des loups garous (comme dans le petit chaperon) »,
sur la vie : « C’est un bordel violent, tout est sexuel »,
sur sa vie : « Ma vie sera de satisfaire ou de périr »,
sur son destin : « Je mourrais seule »

Les conclusions opérationnelles sont dans le masque, elles répondent aux questions : Qu’est ce que je dois faire pour entrer en lien ? Séduire pour être reconnue, ne pas aimer vraiment, et comment je dois me montrer ? Séductrice.

Sur le plan thérapeutique, pour Carlo Moïso, l’Enfant a besoin de ce que l’environnement lui a refusé lors de la croissance, lorsque le besoin a émergé dans la relation. Le thérapeute peut alors  répondre au besoin par un processus qui le conduit à identifier les phénomènes transférentiels, identifier le besoin en développant son empathie, en explorant la situation d’origine, les carences possibles de l’environnement puis à donner à la personne les permissions nécessaires, telle celle d’exister, d’être tel qu’elle est, de grandir, d’appartenir, d’être dépendante, d’être indépendante…

Besoins et désirs

Carlo Moïso insistait fréquemment sur les notions de besoins et désirs pour bien montrer comment des besoins non satisfait lors de l’enfance, vont chercher à s’exprimer dans les situations de notre vie d’adulte. Prenons le temps de faire la distinction entre besoins et désirs.

« Le besoin est la sensation que nous éprouvons quand nous ressentons l’absence de quelque chose qui nous est nécessaire pour vivre, psychologiquement ou biologiquement ».

« Le désir est, au contraire, ce que nous éprouvons quand il nous manque quelque chose qui nous est nécessaire pour vivre bien ». CM

Le besoin correspond à ce qui est utile pour notre vie et le désir à ce qui nous plait.

« L’enfant vit les désirs comme des besoins, soit du fait de son immaturité neurophysiologique, soit parce qu’il suit le principe de plaisir. » CM L’apprentissage permet par la frustration qu’il génère de différencier besoin et désir, puis d’apprendre à répondre à ses propres besoins (en tout cas pour une part). Il reste que les besoins relationnels devront être comblés par des personnes fiables et identifiées comme des figures d’autorité dans la relation. C’est cette partie qui est complexe, nous la traiterons dans un prochain post présentant les besoins relationnels (les besoins dans la relation) tels qu’ils sont identifiés par Richard Erskine.

Pour Eric Berne et les analystes transactionnels, il existe 3 besoins fondamentaux : la stimulation, qui au départ est physique dans la relation entre le nourrisson et ses parents, puis va se transformer en besoin de reconnaissance au fur et à mesure de l’évolution de l’enfant et de sa socialisation. Nous avons aussi un besoin fondamental de structuration (structurer notre temps sur le court et sur le long terme), permettant de rendre en partie le monde prévisible.  Le troisième besoin concerne notre positionnement, l’évaluation que nous faisons de notre valeur intrinsèque en lien avec la valeur que nous accordons aux autres : la position de vie.

Pour Carlo Moïso nous avons 3 besoins fondamentaux existentiels, qui ne sont pas comparables aux besoins berniens, et qu’il a nommé :

Etre (Be)
Y être (Belong)
Devenir (Become)

Le besoin d’être est à la fois celui d’exister, d’être reconnu dans notre existence et le besoin de développer une identité qui soit la notre et reconnue par notre environnement. J’ai besoin de définir et de savoir qui je suis. Dans la relation cela se traduit par le besoin de respect pour qui nous sommes, nos pensées, nos valeurs, notre cadre de référence. Le besoin d’affection dans une relation sécure (obtenir des caresses, des manifestations d’amitié, d’amour, de tendresse…). Le besoin d’approbation pour ce que l’on pense, fait, crée… qui pourra être obtenu par des félicitations parentales, la fierté de nos éducateurs.

Le besoin d’y être est le besoin d’appartenance, je ne peux pas vivre seul, j’ai un besoin impératif d’appartenir (à ma famille, à un groupe social…).

Le besoin de devenir correspond à une nécessité de transformation, d’évolution, de mise en œuvre dans la vie de mes valeurs, de ce qui est central pour moi, de mes désirs de croissance.

La satisfaction de nos besoins est rendue possible par la capacité à communiquer avec soi-même et avec les autres. Il ne nous est pas possible de satisfaire seul nos besoins, nos besoins ne peuvent être satisfaits que dans la relation. Le besoin d’être n’est satisfait que si nous obtenons la permission de vivre par nous-même, d’avoir une identité qui nous est propre, séparée et en lien. Le besoin d’y être ne peut être satisfait que si nous sommes acceptés, entourés, dans le respect et la liberté. Enfin, le besoin de devenir ne peut trouver sa place que dans l’échange et la relation. Même si mon souhait le plus cher est d’écrire, ce désir ne va me permettre de me sentir devenir que si j’ai des lecteurs, des feed-backs sur mes écrits, des appréciations. Comme chacun, j’écris pour être lu.

Pour bien comprendre l’importance des besoins CM énonce trois règles :

Lorsque nos besoins ne sont pas satisfaits nous devenons malade,
Ce qui nous fait « être bien » n’est pas ce qui nous fait « du bien »,
Ce qui nous fait « du bien » n’est pas ce qui nous fait « être bien ».

La seconde et la troisième méritent d’être expliquées. Ce qui nous fait « être bien », c’est ce qui nous permet de nous sentir plus vivant (être), plus en relation (y être) et plus en lien avec ce qui a de la valeur et du sens pour moi (devenir), c’est à dire une réponse adaptée de l’environnement, un encouragement pour me différencier, être accepté et accompagné dans le développement de ma personnalité et de mes compétences. Ce qui nous « fait du bien » est ce qui apaise notre angoisse, nous procure un plaisir immédiat, nous soulage, nous conforte dans nos visions. Prenons un petit exemple caricatural, ce qui me fait du bien c’est lorsque je me plains et que quelqu’un m’accompagne dans ma plainte, compatit. Bien évidemment ce soulagement ne va pas me permettre d’envisager la vie autrement ou de changer de comportement et à terme je revivrais la situation qui m’a amenée à me plaindre.

Des études récentes en psychologie positive (Seligman) montrent que la vie est jugée bonne dans trois contextes : lorsque nous trouvons du plaisir (mais dans ce cas la stabilité est relativement faible), lorsque nous sommes investis totalement dans notre activité ou lorsque notre action a du sens (sur le plan spirituel, sans connotation religieuse).

Tant que nous ne sommes pas arrivés à un état du moi Adulte intégrant nos besoins et nos valeurs, l’Enfant (l’état du moi Enfant) continue à confondre besoins et désirs. Lorsque nous sommes sollicités dans cet état du moi, nous imaginons que nous avons besoin que l’autre nous prenne en charge, ou que nous avons besoin qu’il change, ou que nous avons besoin d’une belle voiture, d’une belle montre, d’être admiré… alors qu’en fait ce sont des désirs et que nous pouvons donc apprendre à y répondre en fonction du contexte, à les différer par exemple.  Lorsque notre état du moi Enfant est énergétisé, nous risquons une confusion entre besoins de survie et besoins de « bonne vie ». Un besoin de survie est un besoin archaïque sans référence avec l’ici et maintenant.

Lorsque nous grandissons il y a des besoins auxquels nous pouvons répondre seuls, d’autre non. La question centrale pour l’Adulte est comment le faire ? En revanche pour l’enfant (réel) puis pour l’Enfant (état du moi), la question est différente : ais-je le droit de satisfaire ce besoin ? Est-ce possible dans cet environnement ? Obtiendrais-je satisfaction ? Certains besoins qui n’ont pas été satisfaits peuvent être si profondément  enfouis (c’est une métaphore) qu’ils ne sont pas manifestés ni même accessibles. Nos besoins ont pu être réprimés, rationalisés, sublimés. Ils apparaitront alors dans la situation thérapeutique, sous forme de jeux psychologiques dans des relations importantes et au décours d’accidents de la vie ou de maladies.

Eduquer à la satisfaction des besoins

Eduquer à la satisfaction des besoins passe par différentes étapes liées à la croissance de l’enfant. Ces étapes ne sont pas linéaires, les parents continuent bien évidemment à répondre directement aux besoins d’enfants plus grands, par exemple lorsqu’ils sont fiévreux. Les étapes généralement distinguées sont les suivantes :

Satisfaire les besoins (lorsque le parent donne un biberon à un enfant en identifiant ou imaginant qu’il a faim ; lorsque le parent réconforte un enfant qui vient de faire un cauchemar…),
Aider à différer la satisfaction ; le besoin ne peut pas être satisfait dans l’immédiat pour des questions de contexte ou de règles de la famille. Le parent reconnaît le besoin de l’enfant, puis lui explique le sens de la non réponse immédiate à son besoin. Il aide ensuite l’enfant à attendre la satisfaction.
Contenir le besoin / le désir : apprendre à gérer la frustration. Lorsque l’enfant désire quelque chose, il pense qu’il a le droit de l’obtenir. Il va s’agir pour le parent d’apprendre à l’enfant que tous les désirs ne peuvent pas être satisfaits.
Apprendre à participer à la recherche de satisfaction. L’enfant attend pour une part que la satisfaction vienne par elle même. En clair, que les parents lui fournissent la réponse à son besoin ou à son désir. La tâche des parents est alors de demander à l’enfant de participer à la réalisation des actions lui permettant de satisfaire son propre besoin.
Apprendre à demander. L’enfant va apprendre à demander directement ce dont il a besoin et non plus à exposer simplement son mal être.