Voici une série d’articles écrits par Daniel Chernet sur le schéma d’identités, apport de Carlo Moïso.

Ces articles n’étant plus accessibles sur son blog, c’est avec l’accord de Daniel que je les publie ici.

Bonne lecture.

 

Chapitre 3 – L’identité adaptative sociale : le masque

 

L’origine du masque est l’apport par l’enfant de réponses aux questions concernant l’insertion sociale répondant au besoin d’appartenir (Belong). Face aux attentes de son environnement, l’enfant s’adapte et selon les réponses à ce qu’il montre, il va tirer des conclusions et des décisions sur les thématiques suivantes :

 

Qu’est-ce que je dois faire pour entrer en lien ?

Comment vais-je me montrer ?

–       Pour être bien

–       Pour appartenir au groupe

–       Pour être en relation

–       Pour évoluer dans ma vie

–       Pour répondre aux attentes des autres

Comment faut-il être pour être acceptable  ?

 

Comme le dit Carlo Moïso (CM) : « Si l’environnement a des réactions de refus face aux caractéristiques de la personne (conduisant au crapaud), il a également des demandes, des propositions qui conduisent l’individu à choisir une identité sociale « pseudo-positive », le soi public ». C’est cette partie que l’on nomme le masque. Le masque est adapté à la culture locale du groupe auquel on appartient.

Le masque a de la valeur pour chacun d’entre nous puisqu’il conditionne la plupart de nos relations quotidiennes aux autres. Le masque est la manière dont nous nous présentons : le bon père, le thérapeute compétent, le bon camarade, le gentil époux, le râleur professionnel, le timide, l’effronté…

Il conserve de la valeur tant qu’il est présent (je rejette la part de moi qui n’est pas adaptative) et surtout tant que moi et l’environnement y croyons. C’est à dire que je suis certain de montrer la facette de moi qui est attendue et que les personnes avec lesquelles je suis en relation acceptent de voir cette facette et la considère comme réalité de la personnalité.  Par exemple, un homme (nommons le Robert) râle en permanence et contre tout ce qui se passe, il se présente sous les traits du « râleur » ou du « jamais content ». Tant que cette présentation est reconnue par les personnes qui lui sont proches et qu’elle lui permet d’obtenir les signes de reconnaissance nécessaire, elle n’a pas de raison de changer.  A ce propos rappelons cette petite histoire savoureuse. Emilie, l’épouse de Robert a fait plusieurs stages de développement personnel, avec de l’analyse transactionnelle et de la communication non violente. Un soir, n’y tenant plus, elle dit à Robert que ce n’est plus possible pour elle de l’entendre râler du matin au lever (les infos, la température de l’eau de la douche, le shampoing dans les yeux, les enfants qui font du bruit…) au soir au coucher. Prise de court elle lui demande d’au moins ne plus râler qu’un jour sur deux. Robert acquiesce et la première journée se passe très bien, la deuxième journée, il ne râle quasiment pas. A partir de la troisième journée, chaque jour impair, il dit en permanence à son épouse, devant tout ce qui constitue pour lui une contrariété : « demain je râle » et il met sa menace à exécution.

 

Notre masque en tension

Ce qui est accepté et reconnu dans un environnement donné ne l’est pas nécessairement lorsque nous changeons d’horizon. Notre masque peut alors être rejeté et  nous sommes en difficulté, ne sachant plus comment faire pour être accepté. Notre « râleur » de tout à l’heure, accepté dans son environnement familial et dans son habit professionnel de chef de service, peut ne plus l’être lorsqu’il lui prend l’idée d’adhérer à un groupe de managers humanistes. Le masque de râleur ne passe plus, il est attendu de lui qu’il soit optimiste, tourné vers l’avenir. Dans cette situation Robert se sent dépossédé d’une partie de ce qui fait son identité. Il a alors trois solutions :

 

le changement de posture (constituant une nouvelle adaptation lui permettant de s’intégrer dans ce nouveau groupe et d’appartenir), ce qui lui permet d’élargir les facettes de son masque,

le développement de son identité préférée, autonome. Pour ce faire, il peut apprendre à gérer ses émotions, exprimer sa colère, développer des activités artistiques…

régresser dans son identité scénarique profonde (crapaud) et engager des jeux psychologiques lui permettant de confirmer ses croyances.

 

Il est fréquent que notre masque ne soit pas efficace dans toutes les situations. Le masque de coach débutant qui convient bien à François dans son environnement habituel fait d’autres coachs, de consultants, de ses collègues de formation et de ses collègues de l’association de coach, est rejeté lorsqu’il est en contact avec un client potentiel, qui attend un coach confirmé ou sûr de lui plutôt qu’un coach débutant.

Pour comprendre l’efficacité du masque et son adaptation à une culture donnée, il suffit de faire un voyage dans un pays présentant des différences culturelles importantes et nous verrons que notre manière de nous présenter peut avoir peu d’effet sur nos interlocuteurs, qui accorderont de la valeur à d’autres éléments.

 

Masque et dépendance relationnelle

Le masque est donc un élément essentiel de notre identité, il nous permet d’être accepté mais il nous conduit à une dépendance du regard des autres : nous allons présenter notre masque et attendre que nos relations le confirme et nous donne des signes de reconnaissance. L’endosser conduit à nous faire agir à partir de comportements adaptés, systématiques et peu créatifs. Revêtir notre masque nous permet d’échapper aux souffrances contenues dans notre Enfant bloqué. Robert, en râlant ne s’approche pas de sa souffrance personnelle, des messages dévalorisants entendus, des renonciations qu’il a fait concernant sa capacité à devenir médecin. Il découvrira ces éléments au cours de sa thérapie.

La présentation du masque à notre environnement et en conséquence le vécu interne identitaire qui en découle, nous permet dans la plupart des cas d’éviter d’accéder aux réactions de rage ou de dépression du crapaud. Tant que je me montre comme le bon père, je ne suis pas en contact avec ma violence. Celle-ci ressortira lorsque quelqu’un me fera une queue de poisson sur l’autoroute ou cherchera à me prendre la place de parking que je viens de trouver après avoir tourné pendant 10 minutes dans le quartier.

Le masque nous permet d’obtenir des signes de reconnaissance qui sont à renouveler quotidiennement. Robert, en râlant, obtient de l’agacement de la part de ses enfants, qui lui rappellent quotidiennement combien il peut être chiant ; Emilie l’accepte tel qu’il est, connaissant bien ses souffrances d’enfant ; ses collègues chefs de service trouvent qu’il ne se laisse pas faire ‘lui au moins’. Et quotidiennement, lorsqu’il râle sur les piètres politiciens qui nous gouvernent ou les dégradations du temps qu’il fait, il obtient de nombreux acquiescement et le sentiment d’être dans le vrai. Même si ces signes de reconnaissance peuvent nous sembler négatifs ou fades, ils satisfont le besoin d’être et le besoin d’appartenance et permettent de poursuivre son engagement dans la vie.

Le masque que nous avons construit étant enfant évolue dans le temps, mais avec des constantes. L’enfant timide le restera aussi longtemps qu’il n’aura pas bougé (par rencontre avec l’amour, la thérapie ou les grands évènements de la vie, dirait Eric Berne).

Prenons un exemple donné par CM pour illustrer les différents éléments constitutifs du diagramme des identités. L’enfant naturel (le vrai enfant dans une de ses étapes de croissance) a besoin d’être choisi par une personne de confiance (en position d’autorité ou de leadership). Souvenez-vous de l’importance du rituel de choix dans les équipes de football ou de ballon prisonnier de votre enfance (ou relisez « la guerre des boutons ») pour comprendre combien ce besoin est important à un moment donné de notre vie. Le besoin de l’enfant est donc d’être choisi, si ce besoin est satisfait par l’environnement, l’Adulte et l’Enfant Libre tirent une conclusion positive : je peux être choisi. La formulation en français ne rend pas complètement l’importance de cette conclusion. Si nous pouvions écrire « je suis choisissable » la formule serait plus forte. En effet, il y a transformation d’une possibilité d’action, d’une situation en qualité personnelle, en élément de l’identité.

En revanche si l’environnement ne permet pas à l’enfant d’être choisi, il va pouvoir en tirer deux sortes de conclusions identitaires. Pour le crapaud cela pourrait être « je suis seul et je le mérite ; on m’abandonne ; on me lâche » et complété par une conclusion sur l’insuffisance de sa propre valeur. L’enfant va s’adapter à la situation et construire son identité sociale. Des conclusions et décisions du masque pouvant alors être :

Je ne mérite pas d’être choisi

Je suis terne

Je suis solitaire

Je mettais de l’énergie pour être choisi puis je lâcherai, conduisant à des comportements de séduction.

 

Le besoin réprimé est le besoin d’être choisi par quelqu’un qui compte. Richard Erskine, intègre le besoin d’être choisi dans la liste étendue des besoins relationnels fondamentaux.