Voici une série d’articles écrits par Daniel Chernet sur le schéma d’identités, apport de Carlo Moïso.

Ces articles n’étant plus accessibles sur son blog, c’est avec l’accord de Daniel que je les publie ici.

Bonne lecture.

 

Chapitre 2 – L’Enfant Blessé et le Crapaud

 

Pour suivre les différentes étapes du modèle, il vous faut vous reporter au schéma publié dans le précédent post.

 

Description du modèle (suite)

Lorsque la réponse de l’environnement est inadéquate, parce que négative ou rejetante, elle va conduire l’enfant à continuer à ressentir du mal-être, le soulagement ne sera pas présent. En fonction de ce ressenti, et si la situation se répète ou est très violente sur le plan émotionnelle, dépassant la capacité de l’enfant à résister, le besoin sera vécu comme non Ok. L’enfant apprend alors que ce n’est pas ok d’avoir faim, d’écouter son corps, d’écouter ses émotions, d’avoir du désir, de faire du bruit, d’être joyeux.

Il va s’engager dans l’acceptation qu’une part de lui est négative, ses besoins ne pouvant être reconnus par l’environnement. Cette part sera nommée par Berne et Moïso le crapaud (il s’agit de l’identité profonde adaptative). Cette partie de notre identité est profonde, car cachée des regards externes par un masque adaptatif, caché de nos propres explorations pour éviter de ressentir la souffrance liée à l’acceptation de notre inadéquation. Elle est également adaptative, car elle conduit à accepter les situations vécues en lien avec nos besoins, l’enfant adapte ses besoins / ses désirs à ce que son environnement peut lui procurer. Cette part va demeurer caché, car elle n’est pas acceptable pour l’environnement (Soi caché). Il s’agit de décisions de survie précoces, qui sont sans doute la meilleure chose que l’enfant peut faire dans la situation donnée.

Qu’est ce qui peut amener les parents / l’environnement à donner des réponses non adéquates à un enfant ?

  • Des éléments de contexte : une guerre, une situation de crise, l’épuisement, la pauvreté, la richesse, les privations de liberté.
  • La peur du parent concernant le contact (telle ce cadre de santé baignant dans les années 70 ses enfants avec des gants et une blouse blanche),
  • La phobie du parent concernant le thème abordé (de nombreux parents ont une phobie de la chose sexuelle ou ne savent pas en parler avec naturel). Prenons un exemple : cet enfant de trois ans montre son sexe et s’en sert comme un objet de plaisir. Réaction horrifiée du parent : « arrête, c’est sale ». Cette phrase aura d’autant plus d’impact que la colère ou l’agacement, ou d’autres émotions vont être communiquées par le parent avec les mots. Suite de la réaction : « tu es énervé », dès lors la confusion entre excité et énervé se met en place. En cas de répétition multiple de ce type de confusion ou d’intervention, l’enfant risque de ne plus savoir quoi faire de son excitation.
  • Des réactions de non compréhension et de non-acceptation du besoin (par exemple lorsque l’enfant cherche à découvrir le monde, il est cantonné dans sa chambre, il lui est interdit d’exercer ses talents de dessinateur, il ne peut pas jouer avec des amis…). Lorsque le besoin est méconnu, reconnu et ignoré, rejeté, nié ; lorsque le désir est méconnu, l’enfant s’engage dans une dévalorisation de ce qu’il ressent et s’éloigne petit à petit de son intuition, de ses ressentis pour s’adapter à ce qui est attendu de lui, dans une réaction de survie.

La liste des besoins de l’enfant pour la croissance est longue et les différentes approches psychologiques ont cherché à l’établir, par exemple Maslow, Virginia Henderson… En analyse transactionnelle, Pamela Levin a proposé une approche appelée les cycles de l’identité (Chez Intereditions). Nous parlerons dans un autre article des visions berniennes et moïsiennes des besoins centraux.

Petite complication de la situation : lorsque les parents sont la cause (brusquerie des gestes, voix trop forte, absence de caresses) ou font partie du contexte du mal être, l’enfant ne peut pas se tourner vers eux pour aller bien, que peut-il faire ? Dans un premier temps il n’a pas d’autre choix que de chercher à manipuler ses parents pour obtenir la réponse à ses besoins, ou de s’adapter au manque, ou de refuser ce qui lui est offert. Lorsqu’il grandit et que les besoins sont plus psychologiques et moins corporels, il va clôturer la gestalt du besoin par une clôture cognitive : il va donner un sens à ce qui se passe à partir de son imaginaire. Par exemple, il pourra penser qu’il a été abandonné par une famille princière, ou bien qu’il se vengera lorsque ce sera possible, ou encore décider précocement qu’il s’occupera toute sa vie des enfants.

Dans une situation normale de vie, il y a de grandes chances que nos parents / figures d’autorité nous ait donné à la fois des réponses acceptables sur une part du thème et des réponses limitantes. Par exemple, un enfant, dans la relation à son environnement a pu apprendre et décider d’être discret, de ne pas faire de bruit, de ne pas parler de ce qu’il ressent ou imagine, lorsqu’il est avec ses parents. Il peut conserver ce comportement à l’école et dans les autres lieux de socialisation ou acquérir d’autres compétences, tout en poursuivant le comportement adapté à la maison.

 

L’Enfant Blessé ou Bloqué

En termes d’état du moi, il s’agit d’un Enfant fixé (c’est à dire encore énergétisé par des affects non résolus même si l’âge de l’enfance réelle est bien éloigné). Il est bloqué au niveau des vécus (émotions / ressentis) en relation à ce que l’environnement n’a pas su satisfaire. Il ressent des émotions archaïques, a encore des besoins archaïques non satisfaits. Ces émotions et ses besoins vont se montrer dans la relation sous des formes directes (comportements enfantins) ou indirectes, dans les processus relationnels. La notion de transfert, dont Carlo Moïso a développé l’analyse en termes transactionnels est ici très utile. L’enfant blessé se montre pour obtenir réparation (terminer la gestalt du besoin ouverte). L’enfant blessé est générateur d’angoisse, il vit des émotions archaïques de manque et de tristesse.

Nous pouvons être blessés tout au long de notre vie, en lien avec les besoins évolutifs auxquels nous ne pouvons pas répondre. L’Enfant blessé est réactivé lorsque des situations analogiques à nos réelles difficultés d’enfant se présentent. La décharge émotionnelle peut être forte (élastique dans le vocabulaire de l’analyse transactionnelle).

Il est très fréquent de rencontrer l’enfant blessé dans le cadre du coaching. Les blessures pouvant être liées à des jeux psychologiques dans la relation à nos collègues, collaborateurs, hiérarchiques ou à un rejet, l’absence de signe de reconnaissance, une dévalorisation… Elles peuvent également provenir du fonctionnement du système, sans que cela puisse être reconnu par les membres influents du système. On peut dire que l’on rencontre quotidiennement l’enfant blessé de maintenant et qu’il nous met en lien avec l’enfant blessé d’autrefois. Ainsi en coaching, le travail émotionnel doit être mené avec beaucoup de délicatesse, car l’émotions lorsqu’elle est disproportionnée par rapport à l’origine professionnelle, ou vécue fortement, est en lien avec les souffrances de l’enfance (ou les histoires de souffrance de l’enfance).

 

L’Identité scénarique

Le concept d’identité donne lieu à de nombreuses controverses parmi les psychologues, philosophes, sociologues, chacun ayant sa manière de la définir. Pour bien comprendre le modèle des  identités de Carlo Moïso, nous allons nous rapprocher de sa manière de concevoir l’identité : « c’est l’ensemble des idées, affects et comportements dans lesquels nous nous reconnaissons. » Pour Erik Erikson : l’identité de l’individu est le « sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle et d’une continuité temporelle » (1972).

L’identité a ainsi à voir avec ce que je crois être moi. Sauf dans certains cas extrêmes d’expression de l’identité scénarique profonde (crapaud), par exemple lorsque nous sommes ‘hors de nous’, comme le dit la sagesse populaire, nous reconnaissons nos actes qu’ils soient agréables pour l’environnement ou désagréables pour l’environnement (ce qui nous permet d’ailleurs de culpabiliser).

Nous pouvons ainsi dire que notre personnalité inclus les parts ‘scénariques’ et autonomes de l’identité. La vie transforme au fil du temps notre tempérament (ce que nous sommes aptes à réaliser, nos compétences, nos orientations) en personnalité.

Ainsi, si nous sommes à la fois autonome et adaptés, il est rare que les deux facettes se présentent en même temps dans un temps court. Ceci nous amène au concept d’identité prévalente, celle qui est la plus active à un moment donnée. L’identité prévalente peut varier fortement au cours d’une séquence de temps, elle dépend de nombreux facteurs, dont notre état physique, des difficultés que nous rencontrons, de notre sentiment de solitude. Il est intéressant de noter que toute ce que nous réalisons pour aller bien sur le plan corporel et psychique (méditation, sport, danse, relation amoureuse…) nous permet d’accéder de manière plus soutenue à notre identité autonome. Notre identité prévalente est plus durablement l’identité autonome.

« L’identité scénarique est le sens de qui on est pris à partir des limitations et des contraintes imposées par l’environnement de notre enfance, au détriment de certaines autres caractéristiques (qu’on a et qu’on peut toujours récupérer). CM »

« L’identité est négative quand cet ensemble nous amène à penser que nous ne sommes pas OK ; que les autres ne le sont pas ; que ni nous, ni les autres ne le sommes. CM »

 

L’identité adaptative profonde : le crapaud

L’origine de l’identité adaptative profonde (dite crapaud de manière analogique et parce qu’il est toujours possible qu’une rencontre nous fasse redevenir prince, comme dans les contes) est la réponse apportée aux questions concernant l’être (Qui suis-je) ou questions existentielles. Elles sont présentes corporellement, dans des circuits neuronaux, dans des empreintes émotionnelles et lorsque l’enfant commence à accéder au langage sous la forme de conclusions et de décisions de scénario.

Ces questions peuvent être synthétisées en 5 questions essentielles :

—Qui suis-je ?

—Qui sont les autres ?

—Quel est le sens de la vie ?

—Quel est le sens de ma vie ?

—Quel est mon destin ?

Les réponses à ces questions dans l’identité scénarique sont celles qui sont données suite à une prise en charge insatisfaisante des besoins de l’enfant. Le Soi qui découle d’une prise en charge insatisfaisante des besoins est « caché », car il nous fait nous sentir mal, très mal, les émotions qu’il nous amène à vivre, les pensées qui arrivent sont douloureuses, rejetantes. Lorsque nous avons des pensées telles que :

  •  Je n’ai pas le droit d’aimer,
  •  Je n’ai pas le droit d’avoir peur,
  •  Je n’ai pas le droit de faire,
  • Je suis condamné à l’échec,
  • Je suis nul,
  • Je suis condamné à la solitude…

lorsque nous cherchons (de manière non consciente bien sûr) à :

  • Rejeter / nous faire rejeter,
  • Dominer / être dominé,
  • Forcer / être forcé…

lorsque nous vivons de la haine de nous même ou des autres, de la rage, du désespoir, de la violence, lorsque nous mettons en œuvre des situations pour tester notre impuissance ou notre toute puissance, il y a de grandes chances que ce soit notre crapaud qui se montre.  Pour Carlo Moïso, le crapaud a une composante sadique ou masochiste qui se traduit dans la manière dont nous allons l’exprimer (rejeter / être rejeté).