Voici une série d’articles écrits par Daniel Chernet sur le schéma d’identités, apport de Carlo Moïso.

Ces articles n’étant plus accessibles sur son blog, c’est avec l’accord de Daniel que je les publie ici.

Bonne lecture.

 

Chapitre 1 – L’Enfant Naturel

 

Description du modèle

Carlo Moïso est un psychiatre italien, psychothérapeute, didacticien et superviseur en analyse transactionnelle. Il a participé à l’introduction de l’AT en Italie en 1975, puis a dirigé ou été le référent scientifique d’instituts de formation de psychothérapeutes. Prix Eric Berne pour son travail sur les transactions de transfert (1987), il a tout au long de sa carrière cherché à enrichir la théorie, dans une approche psychodynamique, qu’il nommait « analyse transactionnelle néo bernienne ». Proche des idées d’Eric Berne, il promouvait auprès de ses élèves une volonté de maintenir un haut degré d’exigence sur la connaissance de la théorie. Il est né en 1945 et décédé en 2008 à Rome. Carlo Moïso a enseigné en France, ce qui m’a permis de travailler avec lui de 2000 à 2008, sous la forme de séminaires didactiques et de séminaires d’été à vocation plus thérapeutique.

Carlo a développé de nombreuses idées passionnantes, il a néanmoins peu écrit. Le modèle des identités est ainsi présenté dans une seule de ses publications, une conférence donnée en Italie, traduite et publiée aux Editions d’Analyse Transactionnelle à Lyon : « Besoins d’hier et d’aujourd’hui ». Pendant toutes les années de formation, j’ai pu constater combien ce modèle était puissant pour comprendre, comme Carlo le disait souvent : « pourquoi un être plein de promesses se coupe les ailes et ne parvient pas à réaliser son potentiel, ou le fait médiocrement, bien en deçà de ce qui serait objectivement possible » CM. Toutes les citations notées CM sont extraites de l’ouvrage « Besoins d’hier et d’aujourd’hui ».

Dans cette série d’article, nous allons chercher à comprendre le modèle, puis à donner des clés pour son usage en coaching (et quelquefois en thérapie). En coaching ce modèle permet principalement de :

  • Mieux se connaître pour utiliser au mieux sa personne / persona (masque lié au rôle) dans le coaching ou l’intervention,
  • Identifier rapidement les niveaux d’intervention (thérapie / accompagnement) en fonction des problématiques montrées et connues du client,
  • Identifier des éléments des systèmes identitaires scénariques (limitants) de nos clients et les aider à développer leur autonomie, même si ce n’est pas le mot de CM, mais un emprunt à la thérapie narrative, j’aime dire que nous pouvons accompagner nos clients vers leur identité préférée.
  • Effectuer des diagnostics et des interventions pertinents sur les problématiques personnelles du client.
  • Apprendre à identifier le prince derrière le crapaud ou le masque pour mettre en place un lien d’empathie et une bonne qualité de relation avec notre client.
  • Développer des stratégies d’accompagnement lorsque notre client souhaite développer des caractéristiques peu exploitée ou des difficulté à mettre en œuvre ses projets.

Pour ce faire, nous allons d’abord chercher à comprendre le modèle dans son ensemble, puis nous développerons chacun des éléments du modèle des identités. Nous ferons des liens avec les autres concepts d’analyse transactionnelle, enfin nous donnerons des exemples d’interventions reposant sur ce modèle.

 

Présentation du modèle

Le modèle des identités comporte deux branches symbolisant, pour l’une le développement adaptatif de l’enfant (branche de droite : élaboration puis renforcement des processus intrapsychiques et relationnels d’échec – pour une part – et d’adaptation aux attentes des personnes vécues comme des figures d’autorité pour une autre part), pour l’autre le développement de la part autonome (branche de gauche : élaboration puis renforcement des processus intrapsychiques et relationnels de réussite et de mise en actes des désirs personnels, de la satisfaction des besoins, de l’individuation, de la capacité à créer des liens et de la croissance). Le diagramme des identités est une métaphore cartographique des différents états qui coexistent en nous et nous conduisent à vivre ou survivre dans le monde qui nous est proposé. Ce schéma est particulièrement intéressant,  car il ne permet pas d’imaginer qu’un jour nous serons complètement libéré de la part scénarique ou adaptative. Nous sommes selon ce module à la fois autonomes pour une part plus ou moins importante de notre vie et à la fois dépendants de créations anciennes, de croyances, de besoins non satisfaits. Le chemin vers l’autonomie est ainsi possible pour tout le monde.

Figure 1 : le schéma des identités de Carlo Moïso

 

L’Enfant Naturel

L’Enfant Naturel est aussi dénommé Prince. Cette appellation d’Enfant Naturel se réfère aux caractéristiques naturelles que nous avons en arrivant au monde et à chaque moment de l’évolution de notre vie : caractéristiques physiques, morphologiques, équipement génétique, constitution psychologique.

L’appellation de Prince (en référence aux princes et princesses des contes) correspond à la position d’Okness fondamentale que présente l’enfant au moment de la naissance (c’est une croyance positive, aidant pour nos métiers d’accompagnant, personne ne pouvant dire l’état interne de l’enfant, sa prédisposition à la dépression, ses ressentis, nous ne disposons que de l’observation et de nos interprétations pour imaginer ce qu’il vit). Dans cet état d’Enfant Naturel, on présuppose que l’enfant est bien avec lui-même et dans l’attente de la satisfaction de ses besoins.

Il connaît deux sensations de base : le bien être et le mal être. L’Enfant Naturel est en contact avec les différents indicateurs de besoin, il est pleinement dans l’ici et maintenant. Les différents besoins (faim, soif, besoin de relation, de contact, douleurs…) conduisent à une sensation de mal être, leur satisfaction ramène le bien être.  Ces besoins sont évolutifs en fonction de l’âge. Nos besoins vont continuer à évoluer en fonction de notre âge. Chez l’adulte nos caractéristiques d’enfant naturel ne sont pas toutes employées, par adaptation. Prenons un exemple, de nombreuses personnes pensent qu’elles ne peuvent pas chanter, or il semble pour les professionnels que la plupart d’entre nous pourrons chanter si nous sommes accompagnés à le faire. Nous nous sommes ou nous avons été bloqués dans cet apprentissage.

Chez l’adulte le prince (l’Enfant Naturel) vit dans l’ici et maintenant, avec des pensées, des émotions, des sentiments, c’est la partie qui est dans l’énergie de vie, qui nous informe de nos besoins, de nos désirs, des sensations corporelles. Elle nous conduit aux émotions, à la création, à l’envie d’être ensemble, de partager, de créer du lien, d’aimer.

 

Réponses adaptées et réponses non adaptées au développement de l’enfant

Petit, lorsque l’Enfant Naturel est dans une sensation de mal-être il a besoin de récupérer l’état de bien être, mais il ne peut pas le faire seul. Il a besoin de l’assistance ou de la prise en charge d’une personne qui identifiera le besoin, le prendra en compte, donnera la réponse adéquate et permettra ainsi à l’enfant de retrouver la sensation de bien être.

Pour Carlo Moïso, si l’environnement répond de manière efficace à ses besoins, l’enfant va récupèrer sa dimension d’Okness. En fait, il va se sentir bien et va ancrer corporellement et psychiquement la possibilité d’être bien. L’enfant s’engage (ce n’est pas une volonté, mais un regard porté sur la croissance des enfants) dans un développement de ses capacités et d’éléments d’autonomie adaptés à son âge. La réponse adéquate de l’environnement doit permettre à l’enfant : d’obtenir ce qui est nécessaire (et donc à la personne maternante de donner ce dont l’enfant à besoin) et d’être contenu dans ses émotions, dans son mal être (et donc à la personne maternante d’être rassurante, présente, de porter le bébé ou de tenir l’enfant par les gestes, la voix, les mots). Bien sûr, il n’est pas question que le parent soit parfait, mais qu’il ait conscience des besoins de l’enfant, conscience qu’un enfant n’est pas un adulte en réduction, conscience de ses propres limites et enfin conscience de sa responsabilité. Il n’est pas question dans ce modèle de culpabilisation des parents, mais bien d’une cartographie de ce qui se produit dans la relation entre cet enfant et ces parents.

Une réponse adéquate de l’environnement comprend une permission du type « C’est vraiment ok » ; c’est vraiment ok d’avoir des besoins, c’est ok de ressentir du mal être, c’est ok de se réveiller la nuit, c’est ok d’être un enfant. Les permissions reposent sur la validation du besoin, de la souffrance, de la conduite ou des comportements, de l’identité, de l’expression émotionnelle de l’enfant. Elles se traduisent par une acceptation de ce qui se passe, le maintien d’une relation continue, une présence apaisante. Pour Carlo Moïso après Berne et les Goulding, ces permissions vont permettre le développement d’une conscience de soi positive, de l’autonomie, de l’expression possible de l’Enfant Libre et de l’expression dans la vie de nos caractéristiques personnelles.

Rappelons que les besoins de l’enfant évoluent en fonction de son âge, de sa croissance, de sa précocité. Besoin d’explorer, besoin de s’opposer, besoin de faire par soi même, besoin d’être accepté inconditionnellement (c’est à dire même lorsque l’enfant réalise ce que les parents appelleront une bêtise ou un caprice), sont l’occasion rêvée pour les parents de tester leur capacité à l’Okness et de découvrir leurs propres limites.

Lorsque la réponse de l’environnement est inadéquate, parce que négative ou rejetante, elle va conduire l’enfant à du mal-être, le soulagement ne sera pas présent. Le besoin sera vécu comme non Ok. L’enfant apprend alors que ce n’est pas ok d’avoir faim, d’écouter son corps, d’écouter ses émotions, d’avoir du désir, de faire du bruit, d’être joyeux. Il va s’engager dans l’acceptation qu’une part de lui est négative. Cette part sera nommée par Berne et Moïso le crapaud (il s’agit de l’identité profonde adaptative). Cette part de notre identité est profonde, car cachée des regards externes par un masque adaptatif, caché de nos propres explorations pour éviter de ressentir la souffrance liée à l’acceptation de notre inadéquation et elle est adaptative, car elle conduit à accepter les situations vécues en lien avec nos besoins. Cette part va demeurer caché, car elle n’est pas acceptable pour l’environnement (Soi caché).