Une épistémologie de « OK » en AT

Chaque être humain est né prince ou princesse ; des expériences ont convaincu certains qu’ils étaient des grenouilles, et le reste de leur développement pathologique résulte de cette croyance.

 Éric Berne – Principes de traitement psychothérapeutique en groupe – p 291

 

Plusieurs définitions circulent à propos du sens de « OK », la plus courante étant « zero killed ». Il semblerait que ce soit durant la guerre de Sécession aux États-Unis que l’expression fût utilisée dans les états-majors, au retour de batailles quand il n’y avait pas de victimes. Le glissement sémantique a profondément modifié le sens de l’expression en augmentant sa polysémie. En français, au moins deux significations viennent s’ajouter au sens originel.

« OK » est utilisé quand un système est, en soi, en bon état de fonctionnement, prêt à assurer la fonction pour laquelle il est destiné. Dans ce sens, et faisant un premier lien avec l’AT, nous attribuons « OK » à une analyse structurale.

« OK » est utilisée en lieu de place de « d’accord ». Or, « d’accord » n’a de sens que s’il se réfère à quelque chose, autre que soi. Je suis d’accord pour faire un acte spécifique, c’est à dire, respecter un engagement pris. Dans cette perspective, « OK » est attribué à un comportement respectueux d’un contrat.

« OK » peut être aussi la validation d’un propos, par exemple, « je suis d’accord avec ce que tu dis » ou « j’accepte ton point de vue ».

Dans une analyse transactionnelle proprement dite, OK sera une réponse à un stimulus. En AT, le terme est donc employé parfois dans une approche structurale (les gens sont OK) ou fonctionnelle (c’est OK de faire, de penser…).

 

Il faudra attendre le quatrième livre de Berne, Principes de traitement psychothérapeutique en groupe (1966), pour y rencontrer l’expression « OK ». « … sans aucun règlement explicite, les patients chercheront ardemment, dès la première heure, à identifier ce qui est OK et ce qui est non OK… » et plus loin d’ajouter « Pour être le plus efficace possible, il (le thérapeute) doit indiquer d’une manière ou d’un autre que sera considéré comme OK tout ce qui sert le processus thérapeutique et ne sera pas OK tout ce qui l’entrave ». Nous retrouvons ici les deux sens, dans un contexte où la pratique de l’AT est présente. Celui du processus thérapeutique en état de fonctionner et les comportements des patients qui en garantiront, ou pas, le succès.

Les gens sont OK

Les analystes transactionnels connaissent bien cette expression qui représente la valeur fondamentale de l’AT. Selon Berne, chaque être humain est né prince ou princesse, ce que Steiner[1] traduira par : Les gens sont nés OK, page 11du livre « Des scénario et des hommes » et les gens sont OK à la page suivante. Stewart et Joines[2] reprendront la formule « les gens sont OK » pour expliquer la philosophie de l’AT. Chaque auteur décrit ce qu’il entend par l’expression en faisant le lien avec les valeurs humanistes de l’AT que nous retrouvons sous une forme différente, mais identique sur le fond, dans le code éthique de l’EATA[3].

À mon tour, j’aimerais apporter un éclairage supplémentaire et totalement subjectif.

Je perçois « les gens sont OK » comme étant le fruit d’une pensée existentialiste. L’existentialisme est une approche philosophique apparue avec Kierkegaard, philosophe danois du 19ième siècle, cité plusieurs fois dans l’œuvre de Berne. Nous la retrouvons plus explicitement chez Sartre[4] qui la définit comme étant non déterministe, c’est-à-dire sans essence. Prenons comme exemple un objet simple, un stylo. Il a été fabriqué à partir d’un concept avec le projet précis, qui est de tracer des lignes ou des mots sur un support. L’objet stylo a une essence qui globalement se définit par sa fonction, l’écriture. Adopter une philosophie existentialisme en AT signifie que l’être humain n’a pas d’essence mais va se déterminer par son action future.

Nous sommes ici en contradiction avec ce qu’écrivent Stewart et Joines dans le manuel puisqu’ils évoquent explicitement « l’essence des êtres humains » aussi, regardons la cohérence entre une essence humaine et les valeurs de l’AT.

Si l’être humain est fondamentalement bon, par essence, pourquoi manifeste-t-il parfois des comportements violents, pourquoi va-t-il faire la guerre à ses voisins ou tuer son prochain ? Il est difficile de le considérer fondamental bon au regard de ce que nous pouvons observer quotidiennement sur la planète. Mais alors, est-il fondamentalement mauvais ? Pas plus qu’il n’est bon. Puisque « les gens sont OK », croire que l’homme serait mauvais rentre en contradiction avec les valeurs de l’AT. Par ailleurs, nous sommes tous témoins de ce que l’être humain a pu et peut encore apporter de meilleur pour lui et son environnement

Dans cette perspective, l’être humain n’est ni bon ni mauvais, il est. De ce simple statut d’être humain découle la première valeur de l’AT inscrite dans le code éthique de l’EATA et inspirée par les droits de l’homme, la dignité. Tout être humain a de la valeur simplement parce qu’il existe.  Son existence implique la reconnaissance de sa dignité. Dans ce sens, « Les gens sont OK » parle de la structure de l’être humain. Il est né, il est prêt à s’engager dans sa destinée, qui n’est autre que la seconde valeur du code éthique de l’EATA, l’autodétermination. J’associe la métaphore du Prince proposée par Berne à la fois à l’innocence du nouveau-né et au potentiel dont il dispose à la naissance. Ce potentiel peut être considéré comme étant la physis, l’énergie de vie chez Berne, le conatus ou la puissance de l’être chez Spinoza. Chaque individu développera ce potentiel au mieux, ce qui ne sera pas forcément bon, ni pour lui ni pour le reste du monde.

« Les gens sont OK » est le point de vue de l’analyste transactionnel, quel que soit son champ. Ce qui ne veut pas dire que le reste des êtres vivants et la nature en général ne l’est pas. Mais nous travaillons avec des êtres humains et il est important de se rappeler que chaque individu peut être accepté pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait.

À suivre : les positions de vie, je suis OK / Tu es OK

[1] Claude Steiner – Des scénarios et de hommes – Ed Desclée de Brouwer

[2] Ian Stewart et Vann Joines – Manuel d’analyse transactionnelle – Ed InterEditions

[3] https://eatanews.org/wp-content/uploads/2019/04/ethics-code-feb-13th-edit.pdf

[4] Jean-Paul Sartre – L’existentialisme est un humanisme – Ed Folio